Épisode 18 : Amandine, des drones, des droits et des citoyens
Je suis très heureuse d’accueillir Amandine Vole, docteure en Droit Public, pour parler de sa thèse, soutenue en mars 2022 intitulée : Les citoyens vus du ciel : comment concilier opérations de drone et droits des personnes ?
Amandine a effectué son doctorat sous la direction des professeurs Denis MOURALIS et Xavier PHILIPPE au sein du Centre de Droit Économique de l’Université Aix-Marseille.
Résumé
Les drones sont des objets juridiques complexes soumis aux règles du droit aérien et à d’autres règles spécifiques ou non, telles que la responsabilité, l’assurance, les obligations contractuelles, les obligations liées à la prise de vue aérienne, la protection de la vie privée et des données à caractère personnel ou encore les règles relatives aux exportations.
Il s’agit de sujets variés, qu’il est difficile d’articuler autour d’une problématique.
Quand Amandine a commencé sa thèse en 2014 les travaux de recherche sur le sujet étaient assez rares ; ils se sont multipliés au fil des années, notamment s’agissant de la réglementation des drones et de leur usage par les forces de sécurité.
Amandine voulait de manière concrète, produire quelque chose qui pourrait être utile au développement de la filière drone. Elle a donc choisi de centrer son travail sur le sujet de l’acceptabilité sociétale des drones.
Si les préoccupations de nature sociale et environnementale sont des sujets bien moins traités que les questions de sécurité, elles portent pourtant des enjeux importants et nouveaux pour la filière.
Le travail de thèse porte donc sur la conciliation des opérations de drone avec les « droits des personnes »
Classiquement, les questions qui relèvent des « droits de LA personne » concernent les droits de la personnalité, c’est-à-dire un ensemble de droits qui permettent à la personne d’exercer la maîtrise des différents aspects de sa personnalité.
L’expression « droits de la personne » recouvre des droits divers et variés, dont certains sont des droits fondamentaux, souvent concernés par les opérations de drone.
L’utilisation de l’expression « droits des personnes » est apparue pertinente dans le cadre d’une étude sur l’impact social et environnemental des drones pour deux raisons :
D’une part, la formule « droits de… » rappelle la variété des intérêts qui doivent être pris en compte pour protéger les personnes vis-à-vis des opérations de drone ;
D’autre part, le choix de mettre le substantif féminin « personne » au pluriel se fonde sur la volonté de souligner que ce ne sont pas seulement les droits de la personne concernée par l’opération qui sont en jeu, mais une addition d’intérêts.
L’idée ici était d’étudier comment les droits des personnes peuvent être protégés vis-à-vis des opérations de drone.
Dans cette démarche, il est apparu que deux ensembles juridiques pouvaient avoir un impact : le droit aérien, et plus particulièrement les règles d’insertion des drones dans l’espace aérien, et les droits des personnes eux-mêmes. Cette distinction procède de la nature même des drones : objets aériens mais pas seulement.
« Objets aériens » parce qu’ils sont capables de s’élever dans les airs ;
« Pas seulement » parce qu’ils possèdent des caractéristiques qui ne sont pas partagées par les autres aéronefs.
Ils soulèvent ainsi des interrogations susceptibles de ramener le juriste aux débuts de l’aviation civile lorsque le grand public se demandait qu’elles seraient les implications de l’apparition des aéronefs mais aussi de le projeter dans le futur à une époque où peut-être le ciel sera envahi de drones.
Cette distinction – entre l’insertion dans l’espace aérien et les droits des personnes – permet également de mettre en évidence le fait que les droits qu’il est nécessaire de croiser pour étudier les drones restent imperméables les uns aux autres. La distinction des droits permet également de couvrir l’ensemble du champ d’investigation de manière efficace et sans perdre le lecteur qui n’aurait que peu de connaissances sur l’objet même des recherches ou ses aspects juridiques.
Cette étude spécifique du droit aérien et des droits des personnes qui a permis de faire ressortir des propositions concrètes pour concilier opérations de drone et droits des personnes.
Le régime juridique des drones a par ailleurs beaucoup évolué au cours du temps.
En 2014, la réglementation française sur les drones civils avait été adoptée depuis à peine deux ans et il n’existait aucune harmonisation entre les différentes réglementations nationales. En 2022, une nouvelle réglementation vient d’être adoptée sur l’usage des drones par les forces de l’ordre. Entre temps, un début réglementation européenne a été adopté et toujours en construction, notamment sur des sujets tels que le U-Space et l’usage des drones en catégorie spécifique et certifiée.
Le droit applicable aux drones s’est ainsi complexifié au cours de ces 8 dernières années qu’ont durées ce travail doctoral qui n’a cessé d’évoluer pour prendre en compte ces modifications.
Cette thèse ouvre ainsi trois perspectives visant la conciliation des opérations de drone et des droits des personnes :
1) Premièrement, les règles d’insertion des drones dans l’espace aérien ne prennent que peu, voire pas du tout, en considération les craintes des citoyens pour leurs droits. Ces règles ont été créées en prenant principalement en compte les besoins et les caractéristiques des aéronefs « classiques » volant à haute altitude.
Mon invitée propose d’adapter certaines de ces dispositions aux caractéristiques des drones et mieux protéger les droits des personnes. Il en va par exemple ainsi de l’attribution des compétences ou encore de la protection du propriétaire face aux survols de drones.
2) Les règles de protection des droits des personnes restent méconnues et peu accessibles aux exploitants de drone.
– Ces derniers considèrent en effet – souvent par manque de connaissances – que seules les règles « aériennes » spécifiques aux aéronefs sans équipage à bord sont applicables à leurs activités ;
– Et lorsqu’ils s’intéressent aux règles de protection des personnes, ils ont souvent du mal à comprendre quelles règles s’appliquent à leurs activités.
C’est ce double constat qui a amené le Conseil pour les Drones Civils à créer un groupe de travail sur la question de la vie privée et des données personnelles avec pour objectif de sensibiliser les exploitants de drone à ces questions. Le « guide RGPD » proposé dans cette thèse émane d’ailleurs de cette réflexion et des travaux initiés par le groupe de travail. Ces travaux – piloté par mon invité – ont rassemblé différents acteurs de la filière pour faire en sorte que la protection de la vie privée et des données personnelles soient mieux pris en compte dans la filière.
3) Cette démarche d’aller vers les acteurs de la filière et d’avoir un apport concret a toujours prévalu dans la posture de chercheur de mon invité. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle a souhaité jalonner sa thèse de propositions ciblées, qui ont été traduites sous forme de projets de textes et annexées à la thèse.
Ces éléments restent cependant à développer et à exploiter. Avis aux futurs thésards.
Pour aller plus loin
- Le site de la DSAC : indications sur les règles à suivre
- le point de vue de la quadrature du net et un résumé des batailles juridiques sur l’utilisation des drones par les forces de police
- Interview d’Amandine pour Le Point sur le même sujet
- Rappel de la CNIL sur où et comment piloter son drone de loisir (ancienne réglementation)