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Épisode 15 : Justine : Récupérer les Uigwe

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Je suis très heureuse d’accueillir Justine Claude, pour parler de son mémoire de Master en relation internationale intitulé : La Restitution des biens culturels : le cas des protocoles royaux de la dynastie Joseon entre le Japon et la Corée du Sud .

Justine a réalisé ce travail sous la direction de Guillaume Devin au sein de l’école Science Po Paris.

Vous pouvez dès à présent vous procurer le mémoire de Justine car il vient d’être publié aux Éditions l’Harmattan.

Résumé

L’acte diplomatique de la restitution des Protocoles Royaux de la Dynastie Joseon, les Uigwe, à la Corée du Sud par le Japon intervient dans un premier temps grâce à des contextes politiques favorables à un rapprochement entre les deux États.

Depuis les années 1960, la Corée du Sud porte une attention particulière à son patrimoine culturel autour duquel est construite une forme d’identité nationale. Cette dernière est par ailleurs à ce moment également basée sur une vive opposition avec le Japon, ancienne puissance coloniale ayant mis en place des politiques d’assimilation culturelle.

La transition vers un régime démocratique de la Corée du Sud au cours des années 1980 ne modifie pas l’importance accordée à la culture, mais celle-ci prend plutôt la forme des industries culturelles et est désormais davantage orientée vers l’extérieur dans une logique de globalisation et d’augmentation de l’influence. Pour autant, le patrimoine culturel reste un enjeu majeur pour le pays, qui s’engage dans l’UNESCO, ce qui permet aux biens inscrits sur les différents registres d’acquérir une reconnaissance internationale de leur valeur.

L’UNESCO inscrit officiellement en 2007 les Uigwe dans le registre Mémoire du monde qui répertorie les archives et le patrimoine documentaire ayant une importance mondiale. Cette inscription est légitimée à la fois par la forme des Uigwe, écrits à la main de sorte à ce que chaque exemplaire soit unique, et par leur contenu, qui témoigne de l’organisation, l’évolution et les échanges avec les pays voisins de la société royale coréenne sur six siècles, donnant ainsi à voir l’importance de la spiritualité confucianiste dans la région. Les Uigwe portent donc une importance symbolique importante puisqu’ils renvoient à une
partie de l’histoire de la Corée du Sud. Depuis 2006, certains groupes de la société civile s’engagent pour demander officiellement le retour de ces ouvrages situés à l’étranger, dont plus de 160 volumes se trouvent au Japon, à l’Imperial Agency Household.


En 2010, Naoto Kan promet dans son discours à l’occasion du centenaire de l’annexion de la Corée par le Japon le transfert des volumes d’Uigwe se trouvant sur le territoire japonais et déclare une fois de plus ses regrets et ses excuses à la Corée du Sud pour les actes passés du Japon.

Naoto Kan est issu du Parti Démocrate du Japon (PDJ) qui est alors au pouvoir entre 2009 et 2012,
entrecoupant la domination qu’avait établie le Parti Libéral Démocrate (PLD) depuis 1955.

Yoshikazu Tsuno AFP

La politique étrangère du PDJ se distingue de ce dernier puisqu’elle a pour objectif, sous l’impulsion de Yukio Hatoyama, de se rapprocher des États asiatiques pour former ce qu’il nomme une Communauté Est-Asiatique. Par ailleurs, ce parti aborde l’histoire de manière moins conflictuelle, en évitant notamment les déclarations controversées ou les visites au sanctuaire de Yasukuni, ce qui aide à améliorer les relations avec la Corée du Sud et la Chine. La déclaration de Naoto Kan et le geste de la restitution prouvent également cette réflexion sur l’histoire et cette volonté de faire avancer la relation.

Le très controversé Temple Yasukuni – Kanpai.fr

Celle-ci aboutit en décembre 2011, après avoir été approuvée par la Diète japonaise.

D’un point de vue strictement juridique, les Uigwe n’ayant pas été désignés en tant que biens culturels nationaux et appartenant à l’État japonais lui-même, rien n’empêche le bon déroulement de la procédure de retour. L’apaisement des questions mémorielles entre les deux pays et l’entente personnelle entre le président sud-coréen Lee et les premiers ministres successifs du PDJ font de cette période un contexte favorable au succès de la restitution des Uigwe en Corée du Sud.

Cet acte de diplomatie culturelle peut être vu comme un geste de « bonne volonté » du Japon,
qui montre qu’il est prêt à faire des efforts dans le but d’améliorer les relations.

Il s’inscrit en réalité dans un processus de rapprochement entre les deux États amorcé depuis le début des années 2000 notamment au niveau culturel. En effet, cette période voit naître des initiatives de coopération entre différentes institutions culturelles qui s’accentuent encore davantage durant les années 2010.
L’Overseas Korean Cultural Heritage Foundation joue un rôle majeur puisque, par ses activités de
recherche et de conservation, elle développe des partenariats avec des musées japonais possédant des collections d’objets coréens tels que le Japan Folk Crafts Museum. Cette coopération s’observe également à un niveau trilatéral avec la Chine. La proximité des trois cultures et l’établissement d’un Trilateral Cooperation Secretariat en 2009 permet à la fois de confirmer l’importance des échanges culturels au sein des relations entre les trois États et de développer de nouvelles initiatives telles que l’East Asian Cultural Cities et le montage d’expositions conjointes entre les musées nationaux.

Ce rapprochement au niveau culturel prend place au sein d’un processus de rapprochement plus large qui s’explique par la situation économique et stratégique de la région.

Le Japon et la Corée du Sud ont particulièrement souffert de la crise financière asiatique de 1997 qui
affaiblit leurs économies respectives. De plus, avec la montée économique de la Chine, la dépendance commerciale de la Corée du Sud envers le Japon se réduit dans les années 1990 et 2000. Par ailleurs, le Japon se sent également menacé par des actes militaires de la Corée du Nord

Ce contexte, encouragé par une tendance globale au régionalisme, incite les trois États à se rapprocher et à envisager une coopération trilatérale. Celle-ci passe notamment par le lancement des négociations pour un FTA trilatéral, bien que celui-ci n’aboutit pas, à cause de l’impossibilité pour les États de se mettre d’accord et du retour des controverses historiques. En effet, cette relation semble par la suite ternie par le retour de controverses liées à des interprétations historiques opposées entre le Japon et la Corée du Sud.

L’année 2012 est ici une année charnière puisqu’elle voit le PLD revenir au pouvoir au Japon en la personne de Shinzo Abe, célèbre pour ses prises de position proches d’un révisionnisme historique.

De plus, le président Lee est remplacé en Corée du Sud par Park Geun-hye, fille de Park Chung-hee, qui insiste pour que le Japon adopte une vision « correcte » de l’histoire. La relation de confiance construite entre les anciens leaders est ici rapidement mise à mal et les rencontres entre leaders sont interrompues entre 2013 et 2014.

 

Les controverses historiques continuent d’alimenter les tensions entre les deux pays et remettent régulièrement en question le caractère définitif du Treaty on Basic Relations de 1965 qui affirmait avoir réglé toutes les demandes de réparation aux victimes.

Si certains efforts sont faits, notamment en 2015 lorsque les deux pays signent le Japan-South Korea ‘comfort women’ Agreement qui prévoit une compensation financière aux victimes et à leur famille, cela ne semble pas suffire surtout pour la société civile sud-coréenne.

Ainsi, une certaine lassitude semble se faire ressentir du côté japonais, qui estime ne pas voir leurs efforts récompensés, et du côté coréen, qui estime que le Japon ne reconnaît pas sa responsabilité dans les souffrances causées par le régime impérial. Cela se retrouve dans les opinions exprimées par les sociétés civiles japonaises et coréennes qui, bien qu’elles accordent une importance marquée à la relation avec le pays voisin, expriment de manière générale un pessimisme quant à l’amélioration de cette relation. Toutefois, les liens de coopération construits au début des années 2000 se perpétuent même durant les périodes de froid qui vont suivre.

Dans un cadre trilatéral tout d’abord, les ministres de la culture japonais, sud-coréens et chinois continuent de se rencontrer et de réitérer l’importance du développement des échanges culturels pour favoriser la compréhension mutuelle. De plus, les échanges se multiplient au sein de la société civile, dans le domaine académique mais également dans la production et la diffusion de biens culturels de divertissements, ce qui contribue tout de même à alimenter des impressions positives sur le pays en face. Ainsi, la restitution des Protocoles Royaux de la Dynastie Joseon ne suffit pas à elle seule à régler une bonne fois pour toutes les contentieux historiques entre le Japon et la Corée du Sud qui reviennent de manière régulière. Pourtant, celle-ci s’inscrit dans un processus qu’il est possible de considérer comme un processus de réconciliation entre les deux pays. Ce processus n’est pas linéaire et connaît parfois des retours en arrière, mais permet d’avancer vers une compréhension mutuelle de l’histoire.

 

 

Bibliographie

A propos des restitutions de manière générale

  • Déclaration de Amadou-Mahtar M’BOW, Pour le retour à ceux qui l’ont créé d’un patrimoine culturel irremplaçable : appel de M. Amadoou-Mahtar M’Bow, directeur général de l’UNESCO, UNESCO, Paris, 1978
  • Rapport de Felwine SARR et Bénédicte SAVOY, Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle, novembre 2018
  • Viola König, Benoît De L’Estoile, Paula Lopez Caballero, Vincent Négri, Ariane Perrin, Laurella Rinçon, Claire Bosc-Tiessé, Les collections muséales d’art ‘non-occidentale : constitution et restitution aujourd’hui, Perspective, 1, 2018, p.37-70

A propos de la relation Japon-Corée du Sud

  • Eddy Dufourmont, Histoire politique du Japon : de 1853 à nos jours, Presses Universitaires de Bordeaux.
  • Kan Kimura, The Burden of the past : problems of historical perception in Japan-Korea Relations, University of Michigan Press, 2019

A propos de la culture dans les relations internationales

  • Joseph Nye, Soft power : the means to success in world politics, New York : PublicAffairs, 2004
  • Melissa Aronczyk, Branding the Nation, the Global Business of National Identity, Oxford University Press, 2013

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