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Episode 33 : Lana et la scolarité des mineurs sous main de justice

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Je suis très heureuse d’accueillir Lana Branchet pour discuter de son mémoire de Master 2 en sciences sociales parcours politiques sociales intitulé : « La scolarité des mineurs sous main de justice : Une histoire qu’il reste encore à écrire ».

Lana a réalisé ce mémoire sous la direction de Ouassim HAMZAOUI, Maitre de Conférences en Science Politique à l’Université d’Avignon.

Résumé

L’Éducation Nationale (EN) gère chaque année la scolarité de milliers d’élèves. Parmi eux, les mineurs suivis par la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ne représenteraient qu’un faible pourcentage, encore faudrait-il réussir à les identifier et à les quantifier. Selon le dernier rapport statistique de 2023 relatif aux chiffres de la jeunesse, publié par l’Institut National de la Jeunesse et de l’Éducation Populaire (INJEP), le taux de scolarisation des mineurs de 15 à 19 ans, en France, s’élève à 87 %. En revanche, nous sommes aujourd’hui incapables de nous rendre compte du taux de scolarisation des mineurs sous main de justice. C’est ainsi dans cette masse d’élèves que je me suis questionnée sur ceux qu’on ne voit pas, ceux qui sont sortis des radars de l’EN et qui méritent une attention particulière. Éloignés du système éducatif et ancrés dans une délinquance parfois extrêmement violente, raccrocher ces jeunes à une scolarité est un enjeu majeur. Si une scolarité classique ne semble pas être possible, la PJJ s’efforce d’imaginer comment d’autres types de réponses peuvent être apportées en collaboration avec l’EN.

Historiquement, l’instruction d’un mineur inscrit dans une “enfance irrégulière ” n’était pas un objectif de société. La défiance envers cette catégorie de mineurs se justifiait par le fait qu’ils étaient dangereux et dont il “convenait de se protéger ”. La délinquance juvénile est devenue progressivement une catégorie distincte au sein de la délinquance parce qu’une différenciation s’est faite entre l’adulte et l’enfant. C’est l’ordonnance de 1945, texte fondateur de la justice des mineurs en France, qui réservera un traitement spécifique à cette jeunesse délinquante.

L’histoire de la protection judiciaire sera ainsi marquée par un changement : celui du passage d’une indifférenciation répressive à une spécialisation éducative. Cette ordonnance déclenche des modifications massives et déterminantes en matière d’action éducative et du primat de l’éducatif sur le répressif mais ne reflète pas l’activité actuelle de la PJJ en termes d’éducation scolaire. Cette activité s’incarne depuis quelques décennies par une relation partenariale inter-institutionnelle, avec l’EN, qui favorise l’inscription d’un jeune sous main de justice dans une scolarité.
L’affirmation d’une l’action éducative, dans l’intérêt du jeune, prouve que le “désintérêt pour la pédagogie et le scolaire ”, qui s’inscrivait dans les débuts de l’histoire de la justice des mineurs, a évolué. La considération de ces enfants mineurs et l’importance de leur insertion sont deux qui sont totalement ancrés dans la philosophie de la PJJ de nos jours. Dans la réflexion d’un meilleur accompagnement des mineurs sous main de justice, le partenariat avec l’EN n’a cessé de se développer et de se renforcer au fil des circulaires et des actions collectives, même s’il reste encore du chemin à parcourir pour surmonter certaines difficultés.

Aujourd’hui, l’insertion est la pierre angulaire de l’activité de la PJJ puisqu’elle est un levier essentiel dans la prévention de la délinquance. Elle participe à la bonne construction du mineur, à sa socialisation et à sa réinsertion sociale et professionnelle.
L’instruction de chaque enfant, en tant que droit et obligation, doit être garantie par l’EN afin qu’il acquiert, par l’enseignement, un ensemble de connaissances. Mais, il s’est avéré que l’EN se retrouve parfois dans l’incapacité de répondre à cette obligation de scolarisation des mineurs “au motif qu’ils seraient confiés à la PJJ ”. En effet, il arrive que des mineurs de moins de 16 ans se retrouvent sans scolarité et sans projet d’insertion. C’est ce qu’il se passe pour ceux sous main de justice. Si certains pensent “que ça arrange bien tout le monde que ces jeunes soient déscolarisés et qu’ils soient sortis des radars ” en raison d’une stigmatisation historique de ces mineurs, d’autres difficultés que l’EN rencontre, sont le signe d’une incompatibilité des besoins de ces mineurs au système scolaire actuel. La faible formation des enseignants quant à la gestion de situations de crise, la non adaptation des programmes scolaires et les effectifs trop importants par classe sont autant de barrières qui freinent la scolarisation des mineurs sous main de justice et qui engendrent la multiplication du nombre de mineurs sans solution.

La scolarité, telle qu’on l’entend au sens de l’EN, comme l’organisation d’enseignements obligatoires jusqu’à l’âge de 16 ans, cadrés par des programmes prescriptifs, donnant accès à des compétences et des connaissances vérifiées par des diplômes nationaux, n’est pas celle que l’on retrouve à la PJJ. Et pour cause, l’adhésion à une scolarité dite classique n’est pas envisageable pour ces mineurs. La multi-dimensionnalité de leurs difficultés, leur profil décrocheur, leur sentiment d’échec scolaire, leur situation de poly-exclusion, la temporalité de leur placement et les interdictions judiciaires fixées par les magistrats ne leur permettent pas de s’inscrire dans un projet continu et sur le long terme. Pourtant, leur inscription dans un cursus scolaire est le moyen de les socialiser, de créer une relation éducative et d’envisager des perspectives professionnelles, notamment par l’obtention de diplômes. Autrement dit, le travail autour de la scolarité apparaît ici comme un moyen d’éviter la récidive et de leur donner l’opportunité de se projeter dans l’avenir, en dehors de la délinquance.

L’allègement du temps scolaire, la souplesse du cadre, l’individualisation de l’accompagnement et l’adaptation des pratiques professionnelles entre EN et PJJ sont des paramètres à prendre en compte pour réussir à rattacher un jeune à une scolarité. Dans les établissements et services de la PJJ où j’ai pu me déplacer, on y voit une forme de scolarité singulière basée, si le jeune n’est pas réinscrit, sur des activités de jour tournées vers des apprentissages. Puis, pour la grande majorité des mineurs suivis ayant plus de 16 ans, c’est une insertion professionnelle qui est davantage envisagée et travaillée.

La PJJ rencontre de nombreuses difficultés à réinscrire ces jeunes dans les dispositifs de droit commun et dans les établissements scolaires. Pour y remédier et pour répondre à l’hétérogénéité des niveaux et des besoins des mineurs suivis, elle a développé sa propre offre scolaire où individualisation et pédagogie détournée en sont les maîtres mots. La PJJ met en place toutes sortes d’activités culturelles, sportives, éducatives que les professionnels associent à des apprentissages.
Elle prévoit aussi des temps d’enseignements avec un enseignant de l’EN mis à disposition, des emplois du temps partagés avec l’Unité Éducative d’Activités de Jour (UEAJ) et les dispositifs de persévérance scolaire (PS). Même si pendant des années, ces dispositifs ont pris en charge des jeunes sous main de justice, ils perdent petit à petit leur sens dans un accompagnement scolaire partagé. C’est pourquoi, une nouvelle forme de dispositif de PS a ainsi été créée avec l’EN et une association porteuse pour pallier ces difficultés.

Mêlant innovation et souplesse, l’école numérique des apprentissages (ENA) est la première expérimentation d’école autrement accueillant un large public en situation de décrochage scolaire, dont celui de la PJJ. Bien que cela soit une solution aux problématiques de scolarisation des mineurs sous main de justice, l’éphémérité de ce genre d’expérimentation pose question. Son développement et sa durabilité tiennent aux personnes dévouées qui la portent et aux financements qui lui sont alloués. C’est pourquoi d’autres interrogations me viennent autour de la place que prend la scolarisation de ces mineurs dans l’espace public : la scolarité des mineurs sous main de justice doit-elle faire l’objet d’expérimentations au lieu d’adapter le milieu scolaire à l’accueil et l’accompagnement de ces jeunes ?

C’est dans ce sens que mon titre de mémoire évoque l’idée que la scolarité des mineurs sous main de justice est une histoire qu’il reste encore à écrire. De grandes évolutions ont vu le jour depuis des décennies avec le renforcement du partenariat entre EN et PJJ mais nous sommes encore dans un raisonnement où “lorsque le jeune arrive avec une étiquette PJJ, on considère que sa prise en charge ne peut pas relever du milieu éducatif ordinaire ”.

 

Sommaire

  • 2 min 46 : Evaluation école numérique des apprentissages comme projet universitaire
  • 5 min 22: Mineur sous main de justice, qu’est ce que c’est ?

  • 7 min 27 :  Problématique

  • 9 min 31 : Le traitement des mineurs délinquants dans l’histoire
  • 11 min 10: Ordonnance de 1945 / primauté de l’éducatif sur le répressif
  • 13 min 19 : Collaboration Ministère de l’Éducation Nationale et du Ministère de la Justice

  • 17 min 17 : Stage
  • 19 min 37 : Visite quartier mineur
  • 23 min 32 : Evolution dans le Vaucluse
  • 25 min 16 : Obligation d’instruction & obligation de formation
  • 28 min 45 : Dispositif educatifs innovante – micro collège
  • 31 min 15 :Le dispositif ENA  école numérique des apprentissages & Association Volt par l’image et le son

  • 32 min 33 : Savoir être
  • 34 min 10 : Scolarité milieu ouvert/ milieu privatif de liberté
  • 37 min 39 : Une prise en charge vraiment individualisée ?
  • 43 min 17 : Est ce que ça marche ? question de l’évaluation / livret parcours insertion
  • 46 min 49 : Limites
  • 48 min 34 : Déséquilibre / les décrocheurs dont on perd la trace

  • 53 min 20 : Nécessité d’une volonté politique
  • 56 min 10 : D’autres sujets a creuser
  • 58 min 41 : La suite

 

Ressources complémentaires

Articles

  • Denecheau B., “La Protection judiciaire de la jeunesse face à la scolarité des mineur·e·s sous main de justice. Un travail intermittent sur une question marginalisée”, Agora débats/jeunesses, vol. 93, no. 1, 2023
  • Esterle, M., “Absentéisme, déscolarisation, décrochage scolaire, les apports des recherches récentes”, Déviance et Société, vol. 30, no. 1, 2006
  • Esterle, M., “Qui rate un cours vole un bœuf ? Les liens entre (non) fréquentation scolaire et délinquance”, Les Cahiers Dynamiques, vol. 63, no. 1, 2015
  • Puyalet J., Youf D., “École et Justice: quels partenariats pour protéger, éduquer, former ? Présentation du dossier”, La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, 2007
  • Yvorel, J-J., “La scolarité c’est pas le problème…”, Les Cahiers Dynamiques, vol. 63, no. 1, 2015

Rapport

  • Boulay C., Fialaire B., Harribey L., Jourda M., “Rapport d’information sur la délinquance des mineurs”, Sénat, rapport n°885, 2022

Ressources juridiques – Circulaires

  • Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Circulaire n°2014-037 relative aux dispositifs relais, 28 mars 2014
  • Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Circulaire n°2015-121 relative au partenariat entre le ministère de la Justice, le ministère de l’Éducation nationale et de l’Enseignement Supérieur et le ministère de la Justice, 3 juillet 2015

 

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