Épisode 26 : Antoine, la démocratie et les réseaux sociaux.
Je suis très heureuse d’accueillir Antoine Sander, doctorant en sciences politiques à l’Université de Cambridge au sein du Department of Politics and International Studies (POLIS).
Avec lui nous discuterons de son travail de thèse qu’il effectue sous la direction du Professeur Sharath Srinivasan, intitulé : « Social Media, Radical Democracy and the Public Sphere in Contemporary France ».
Résumé
Le projet de recherche de mon invité vise à explorer le rôle des réseaux sociaux dans la démocratie contemporaine, un thème qui a récemment suscité une attention accrue de la part des décideurs politiques, du grand public et du monde universitaire.
Alors que la pensée politique a consacré de plus en plus d’attention à ce sujet, la majeure partie des travaux récents confrontent l’impact des réseaux sociaux sur la démocratie analysée aux prismes d’une vision théorique délibérative de la démocratie.
Mais que se passerait-il si nous évaluions les pratiques numériques à l’aune d’un modèle normatif différent ? L’évaluation – plutôt sombre – de la démocratie délibérative serait-elle valable si nous confrontions la communication numérique à un modèle radical de la démocratie, qui valorise la contestation plutôt que le consensus ?
Pour répondre à cette question, Antoine à mené une enquête de 18 mois sur le rôle politique des médias sociaux, en France en 2022-2023, analysé à la lumière d’une théorie radicale de la démocratie reconstruite à partir de différentes écoles et traditions.
En tant que tel, ce projet apporte une double contribution :
- Il construit à partir de données empiriques un cadre pour comprendre la transformation de la sphère publique à l’ère numérique.
- Il évalue la communication numérique à partir d’une nouvelle perspective normative, servant à la fois à souligner les potentialités et les limites démocratiques des médias sociaux, et à réfléchir sur les idéaux normatifs eux-mêmes.
Pour ce faire, le projet de thèse de mon invité (et notre discussion) ont progressé en quatre étapes clés :
S’appuyant sur les premiers travaux de Habermas sur la transformation structurelle de la sphère publique, le premier chapitre de la thèse identifie, à travers une discussion de la littérature théorique et empirique, comment les médias sociaux contribuent à une nouvelle transformation de la sphère publique.
Ensuite, la recherche explore diverses conceptions normatives de la sphère publique, et en particulier les conceptions de la sphère publique qui mettent l’accent sur le conflit – particulièrement répandu sur les médias sociaux par rapport aux médias traditionnels – plutôt que sur la recherche d’un consensus rationnel. Elle identifie plusieurs courants de la théorie normative qui valorisent la politique conflictuelle, ainsi que certaines lacunes qui entachent ces conceptions, à savoir leur manque d’attention pour la politique électorale, leur mépris pour les institutions en général et leur flou quant au seuil entre conflit constructif et conflit destructif. Cette discussion permet de reconstruire un modèle radical-démocratique de la sphère publique.
La troisième étape du projet – et sa principale contribution méthodologique – consiste à utiliser des données empiriques recueillies au cours d’un vaste travail de terrain en ligne et hors ligne pour étudier les solutions théoriques potentielles aux problèmes des théories conflictuelles de la démocratie.
En utilisant différentes méthodes (ethnographie numérique, entretien qualitatif et analyse de données massives) couvrant à la fois le monde numérique et le monde social « réel », mon invité dresse un tableau général des discussions politiques en ligne dans trois cas : un mouvement local -#saccageparis- né sur Twitter et contestant les politiques d’urbanisme de l’actuelle maire de Paris, Anne Hidalgo ; un débat national qui a eu lieu au début de l’année 2023 sur la réforme du droit des retraites mise en place par le gouvernement d’Emmanuel Macron ; un espace numérique -le forum France de Reddit qui, bien qu’il ne soit pas le plus suivi des espaces numériques, génère des débats de grande qualité entre les utilisateurs sur divers aspects de la vie politique française au cours de l’ensemble de la recherche.
Si le fait de mener une recherche sur trois cas comporte le risque de produire des données plus superficielles, son principal avantage est de permettre une approche pointilliste de la question de recherche dans laquelle les résultats tirés des trois cas se complètent mutuellement.
La dernière étape du projet de recherche consiste à revenir à la conception radicale-démocratique de la sphère publique et à confronter les données empiriques recueillies à ce modèle pour se demander comment les discussions politiques en ligne adhèrent à ce modèle, comment les plateformes de médias sociaux pourraient être améliorées pour répondre à ces critères et si les données empiriques peuvent combler certaines des lacunes identifiées dans les modèles radicaux-démocratiques de la sphère publique, contribuant ainsi à la théorie radicale-démocratique reconstruite précédemment.
Extrait
Sommaire de l’épisode
00h00m00s : Introduction et présentation
00h06m42s : Problème et Problématique
00h09m07 : Théories délibératives et Théories radicale de la démocratie
00h13m58s : Le Concept de sphère publique par Habermas
00h22m50s : Habermas, la presse puis les réseaux sociaux
00h29m38s : La haine / la peur de la démocratie
00h33m30s : les 3 cas d’étude
00h37m48s : #saccageparis
1h03m50s : La reforme des retraites
1h16m50s : Reddit – up vote et down vote
1h19m05s : faire une thèse en Angleterre, l’avenir et conclusion
Bibliographie
Les classiques
- Jürgen Habermas, L’espace public
- Oskar Negt, L’espace public oppositionnel
- Craig Calhoun, Habermas and the Public Sphere
- Chantal Mouffe, Deliberative Democracy or Agonistic Pluralism?
- Jacques Rancière, La Haine de la Démocratie
- Nancy Fraser, Rethinking the Public Sphere: A Contribution to the Critique of Actually Existing Democracy.
Sur les réseaux sociaux
- Jürgen Habermas, Espace public et démocratie délibérative: un tournant
- Paolo Gerbaudo, “Theorizing Reactive Democracy : The Social Media Public Sphere, Online Crowds and the Plebiscitary Logic of Online Reactions”
- Katharine Dommett & Peter J. Verovšek, “Promoting democracy in the digital public sphere: Applying theoretical ideals to online political communication”
- Joshua A. Tucker, Yannis Theocharis, Margaret E. Roberts & Pablo Barberá, “From Liberation to Turmoil: Social Media and Democracy”