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Épisode 20 : Sofia – Changements climatiques : enjeu de sécurité en France.

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Je suis très heureuse d’accueillir Sofia Kabbej, doctorante en sciences politiques depuis mars 2021 au sein de la School of Political Science and International Studies de l’Université du Queensland en Australie.

Avec elle nous discuterons de son travail de thèse qu’elle effectue sous la direction des professeurs Matt McDonald & Roland Bleiker, intitulé : Climate change and security in France.

Résumé

Le changement climatique est de plus en plus reconnu comme une question de sécurité par les institutions internationales, régionales et nationales.

Au niveau international, le Conseil de sécurité des Nations unies a été le théâtre d’une douzaine de délibérations sur les implications sécuritaires du changement climatique depuis 2007. D’autres institutions traditionnelles de sécurité, telles que le Service Européen pour l’Action Extérieure et l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), ont récemment adopté des plans d’action consacrés aux implications du changement climatique sur la sécurité.

En outre, un nombre croissant de gouvernements reconnaissent le changement climatique comme une question de sécurité nationale.

La nature des liens perçus entre le changement climatique et la sécurité diffère d’une institution à l’autre de même qu’au sein des débats académiques. Les institutions peuvent considérer le changement climatique comme une menace pour la sécurité humaine, pour l’environnement, pour la sécurité mondiale ou encore pour la sécurité nationale.

Certains chercheurs se concentrent sur la menace posée à la sécurité nationale et internationale (Boas et Rothe 2016). D’autres se concentrent plutôt sur la menace que le changement climatique fait peser sur la sécurité humaine à long terme ou sur la biosphère (McDonald 2013).

Tant dans les écrits académiques que gouvernementaux, les différences dans les discours sur la sécurité climatique vont au-delà de la question de savoir qui doit être protégé et portent également sur le type de menaces contre lesquelles ces objets doivent être protégés, sur la manière dont cette sécurité doit être assurée et sur les personnes en charge de la gestion de ces menaces (McDonald 2013).

Pour ne donner que quelques exemples, les menaces peuvent inclure les migrations, les conflits liés à la rareté des ressources ou les événements climatiques extrêmes. Les réponses, elles, peuvent aller de l’atténuation à l’adaptation ou à des changements de comportement. Les agents responsables d’apporter des réponses comprennent, entre autres, les États, les populations et les organisations internationales.

En s’inspirant de McDonald, la sécurité climatique peut être comprise comme une construction dont le sens évolue au fil du temps au sein de différentes communautés politiques, illustrant ainsi la multiplicité, l’évolution et la concurrence des concepts de sécurité climatique. Ces discours multiples, changeants et concurrents sur la sécurité climatique encouragent donc différentes politiques (McDonald 2013 ; Von Lucke 2015 ; Boas et Rothe 2016).

Par exemple, l’analyse montre que les approches britanniques en matière de sécurité climatique témoignent d’une montée en puissance d’une pensée de la résilience au fil des ans qui promeut un type de réponse politique différent de ceux qui accompagnaient les scénarios précédents préférant désormais un « gouvernement à distance », plutôt qu’une politique de « gestion des migrations ou des interventions politico-militaires » (Boas et Rothe 2016).

Au fil des ans, plusieurs études de ces discours et pratiques multiples ont été produits (Trombetta 2008 ; McDonald 2013, 2021 ; Oels 2013 ; Von Lucke 2015a, 2015b ; Peter et Mayhew 2016 ; Warner et Boas 2019 ; Brown et McLeman 2007, Estève 2020) mais un acteur important, la France, est largement sous-étudié dans le monde universitaire et ce, malgré son importance diplomatique, historique et politique et sa contribution aux principaux débats internationaux sur les relations entre le changement climatique et la sécurité.

Dans son projet de recherche, Sofia Kabbej, étudie donc le cas de la France, pour comprendre les spécificités de son engagement dans le changement climatique en tant que question de sécurité de même que ce qu’il en ressort concrètement au niveau de la pratique politique et dans son positionnement officiel ( discours / textes stratégiques/ …). Mon invitée s’interroge également sur la contribution de la France au débat international sur le changement climatique et pourquoi notre pays a décidé d’aborder cette question comme elle le fait.

Classé 27e sur 180 dans le 2021 Global Climate Risk Index pour la période 2000-2019, (Eckstein, Künzel, Schäfer 2021), la France considère le changement climatique comme une question de sécurité dans ses déclarations officielles (Bonditti et Kablan) et ses documents stratégiques (Mallet 2008, Guehenno 2013). Le pays est également particulièrement actif dans la gouvernance de la sécurité climatique au niveau international, comme l’illustrent ses différents groupes de travail internationaux sur le climat et les diverses initiatives en matière de sécurité climatique qu’elle mène/accueille ( notamment l’organisation en 2015 de la première conférence internationale sur le climat et la sécurité en amont de la COP21 ainsi qu’une déclaration commune sur les « forces armées et le changement climatique » publiée en novembre 2021).

La France est également un cas intéressant à étudier du fait de l’implication des différentes branches de son gouvernement sur la question de la sécurité climatique.

Pour ne citer que quelques exemples :

  • Le ministère des Armées produit des travaux de recherche sur la sécurité climatique depuis 2016,
  • le ministère de l’Europe et des affaires étrangères est chargé d’élaborer les positions de la France à ce sujet dans les instances internationales
  • le ministère de l’Intérieur est particulièrement actif dans la réponse aux événements climatiques extrêmes par le biais de ses unités de sécurité civile,
  • le ministère de l’Écologie est en charge de la prévention des risques climatiques.

En s’appuyant sur des approches théoriques critiques de la sécurité et sur des observations, des données informelles, des entretiens avec des praticiens ainsi que l’analyse du discours, Sofia, dans sa thèse vise à développer une analyse détaillée de l’engagement de la France dans le domaine de la sécurité climatique. Plus précisément, elle cherche à comprendre comment la France s’est engagée dans le changement climatique en tant que question de sécurité, de façon pratique ( dans ses actes – partenariats, investissements ciblés, …) et discursif (dans son positionnement officiel -discours, les documents stratégiques ou les communiqués de presse).

Sofia cherche également à comprendre pourquoi la France en est venue à considérer et à aborder la question du changement climatique comme une question de sécurité de même que pourquoi la France en est venue à aborder la relation entre le changement climatique et la sécurité comme elle l’a fait.

Pour ce faire, mon invité s’appuie sur la conception du dispositif de Michel Foucault, qui veut que « des éléments aussi hétérogènes tels que les architectures, les discours, les textes juridiques, les institutions, les dispositifs technologiques et les pratiques quotidiennes des acteurs sont liés par un réseau complexe de relations et, prises ensemble, rendent un problème social gouvernable en tant que problème de sécurité. » (Oels 2012).

Un dispositif est un ensemble dynamique et interactif d’éléments qui sont à la fois discursifs et matériels et qui, par leurs interactions, produisent des « choses » : une conception particulière d’un problème, d’une question et ses réponses .

Sofia envisage ces productions comme des résultats discursifs ou pratiques. Les interactions et les relations qui lient les différents éléments du dispositif pour produire de tels résultats sont des processus qu’elle cherche également à comprendre, ainsi que la manière dont la France s’est engagée dans la sécurité climatique dans les domaines discursif et pratique.

Sofia répond donc dans sa thèse à deux grandes questions principales :

● Comment la France s’est-elle engagée dans le changement climatique en tant que question de sécurité de 2005 à 2023 ?

● Pourquoi la France aborde-t-elle la relation climat-sécurité de cette manière ? (ie : quels sont les facteurs qui motivent ou contraignent l’engagement de la France dans le changement climatique en tant que question de sécurité).

 

Ressources complémentaires

Articles 

  • Ingrid Boas and Delf Rothe, From conflict to resilience? Explaining recent changes in climate security discourse and practice. Environmental Politics. 25(4). 613-632, 2016.
  • Philippe Bonditti and Sofia Kabbej, Climat, défense et sécurité : la pensée de l’équilibre face à l’urgence « climato-environnementale, Les Champs de Mars, Revue d’études sur la guerre et la paix, 2020/2, 35, 151-177, 2020.
  • Adrien Estève, Preparing the French military to a warming world: climatization through riskification, International Politics, p.600-618, 2020.
  • Maarten Hajer, Doing Discourse Analysis: Coalitions, Practices, Meaning, Geographic studies, 2006.
  • Matt McDonald, Discourses of Climate Security, Political Geography, 33. 42–51, 2013.
  • Angela Oels, Rendering Climate Change Governable by Risk: From Probability to Contingency, Geoforum, 45, 2013.
  • Maria Julia Trombetta, Environmental security and climate change: analysing the discourse, Cambridge Review of International Affairs, 21 (4). 585–602, 2008.
  • Franziskus Von Lucke, The Securitisation of Climate Change in the United States: The Integration of Climate Threats Into the Security Sector, Working Papers Series, 2015b.

Livres

  • Adrien Estève, Guerre et écologie: L’environnement et le climat dans les politiques de défense (France et États-Unis), PUF, 280 pages, 2022.
  • Judith Nora Hardt and al, Climate Security in the Anthropocene. Exploring the Approaches of United Nations Security Council Member-States, The Anthropocene: Politik—Economics—Society—Science. 33. Springer. 728 pages, 2023.
  • Matt McDonald, Ecological Security: Climate Change and the Construction of Security, Cambridge. Cambridge University Press. 240 pages, 2021.
  • Nicolas Regaud, Bastien Alex, François Gemenne, La guerre chaude. Enjeux stratégiques du changement climatique, Première édition, Presses de Sciences Po, 304 pages, 2021. 

Mentionné dans l’épisode

Observatoire défense et climat du ministère des armées : https://defenseclimat.fr/ 

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