Épisode 19 : Mathilde – la France et le génocide perpétré à l’encontre des Tutsi
Je suis très heureuse d’accueillir Mathilde Beaufils, doctorante depuis septembre 2019 au sein de l’Institut des Sciences Sociales du Politique de l’Université Paris Nanterre (Paris X).
Avec elle nous discuterons de son travail de thèse qu’elle effectue sous la direction des professeurs Sandrine Lefranc et Dominique Connan intitulé : La raison d’État en débat. Contribution à une sociologie de la polémique sur le rôle de la France au Rwanda.
Résumé
Le 6 avril 1994 l’avion qui transportait le Président rwandais, Juvenal Habyarimana, est abattu au dessus de Kigali. C’est souvent l’événement désigné comme élément déclencheur du génocide perpétré à l’encontre des Tutsi. Il va durer jusqu’en juillet, causer la mort de plus de 800 000 personnes et le déplacement d’environs 2 millions de réfugiés.
Ce génocide prend place dans un contexte déjà dégradé de guerre civile opposant depuis 1990 les Forces Armées Rwandaises (FAR) et le Front Patriotique Rwandais (FPR).
La France, présente au Rwanda depuis le début des années 90 dans le cadre de missions de formation militaires, se retire du Rwanda à la suite de la signature des accords d’Arusha en aout 1993 qui mettent « fin » à la guerre civile.
Suite au déclenchement du génocide et à l’incapacité de la MINUAR (Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda) à maintenir la paix, la résolution 929 autorise le déploiement d’une force multinationale, « une opération temporaire, placée sous commandement et contrôle nationaux, visant à contribuer, de manière impartiale, à la sécurité et à la protection des personnes déplacées, des réfugiés et des civils en danger au Rwanda« .
L’opération militaire française Turquoise est lancée le 22 juin 1994 « à des fins humanitaires jusqu’à ce que la MINUAR soit dotée des effectifs nécessaires. » .
Avant même le début du génocide perpétré à l’encontre des Tutsi, le positionnement de la France interrogeait la communauté internationale et certains journalistes, chercheurs et membres de la diaspora au vu du soutien apporté par le gouvernement français au FPR et à une politique diplomatique qui faisait fi de tous les signaux d’alerte face aux risques génocidaires.
Des premières dénonciations publiques de l’opération Turquoise à la mise en place de la commission française sur le rôle de la France au Rwanda dite commission Duclert en 2019, la question de la responsabilité de la France au Rwanda a progressivement été érigée en problème public.
La question du rôle de la France au Rwanda illustre tout particulièrement la disjonction entre gravité de l’accusation et prise en compte publique de cette affaire : la gravité des accusations portées envers l’État français n’a pas mécaniquement entraîné d’indignation de grande ampleur.
Dès lors, pour comprendre comment la question du rôle de la France au Rwanda a pu être érigée en « affaire d’État », Mathilde revient dans sa thèse sur la mobilisation d’acteurs divers, notamment de journalistes, chercheur∙es et militant∙es français∙es et/ou rwandais∙es, qui dès le début des années 1990 se sont engagés pour la dénonciation de l’implication française au Rwanda.
Parallèlement, la contre-mobilisation d’officiers français engagés dans la défense du gouvernement et des armées françaises, notamment après la mise en place de l’association France-Turquoise, fait l’objet, également, d’une investigation de la part de mon invité afin de comprendre la force des interactions entre les pôles opposés de cette polémique.
La reconnaissance des responsabilités de la France dans le génocide perpétré à l’encontre des Tutsi doit être replacée dans la longue histoire des mobilisations de militant∙es, chercheur∙es et journalistes dénonçant ou défendant le rôle de la France au Rwanda. Ces mobilisations ont été ponctuées par les débats autour de la création d’une mission d’information parlementaire sur la question en 1998, sa remise en cause par une commission d’enquête citoyenne de 2004, et, par la suite, par une séquence de revendications d’ouverture d’archives institutionnelles
La Commission Duclert conclu, en 2021, à « des responsabilités lourdes et accablantes » de la France dans le génocide perpétré à l’encontre des Tutsi.
Pourquoi on ne parle plus de » génocide rwandais » mais de génocide perpétré à l’encontre des Tutsi.
Ressources complémentaires
Mathilde Beaufils
Construire une légitimité scientifique : les polémiques autour de la composition et de la réception de la Commission française sur le rôle de la France au Rwanda, Revue Politique Africaine « France-Rwanda : rapports, scènes et controverses françaises« , 2022/2 (n° 166), pages 65 à 90, 2022/2.
Livre
Florent Piton, Le génocide des Tutsi du Rwanda, Editions La Découverte, 2018.
Documentaire
- « Rwanda : autopsie d’un génocide » disponible sur le site de l’INA. C’est un des premiers documentaires, il date de septembre 1994 et on y voit les premières accusations portées contre la France.
- Génocide au Rwanda : quel rôle a joué la France ? Le Monde
Institutionnel
- Le Rapport Duclert : La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994) – Rapport remis au Président de la République le 26 mars 2021.
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