Épisode 12 : Blanche, Voyage en Asie Centrale
Je suis très heureuse d’accueillir Blanche Lambert, pour discuter de son mémoire de M2 en géopolitique intitulé : D’une relative ouverture politique au verrouillage des réseaux ouzbeks : quand la reformulation de la nation post-soviétique se projette dans le cyberespace.
Blanche était sous la direction de Kevin Limonier et a effectué ce Master 2 au sein de L’Institut Français de Géopolitique (IFG) de l’Université Paris 8 Vincennes – Saint Denis.
Résumé
l’Ouzbékistan projette sa reconstruction nationale sur le cyberespace, mais y projette également la vitrine de son régime d’ouverture et de ses travers, avec la perpétuation de pratiques dissuasives et répressives sur Internet, souvent dans le but de traquer toute opposition politique ou toute idée qui viendrait compromettre l’imaginaire national.
Au même titre que ses voisins kazakh, kirghize, tadjik et turkmène, l’Ouzbékistan renforce sa représentation territorialisée du cyberespace, comme le pays renforce les stratégies d’unification
nationale.
Dans son mémoire Blanche montre que les États, dont les frontières et le cadre politique sont issus de leur héritage soviétique, se voient après leur indépendance dans la nécessité de reconstruire leur nation et de renforcer leur identité, et ce dans le but de devenir des Etats-nations viables. Ils se projettent dans le cyberespace pour accompagner leur reconstruction nationale et y assurer une souveraineté totale, même si cela s’est accompagné d’un fort endettement envers la Chine.
Le rattrapage économique et numérique de l’Ouzbékistan et le changement de présidence ont transformé les dynamiques de coopération dans la région. Les relations inter- étatiques se renforcent considérablement, malgré de nombreux litiges qui avaient jusqu’alors empêché toute entente régionale pour une gouvernance autonome de la région et de son cyberespace.
Malgré de nombreuses promesses et de nombreuses actions menées pour l’ouverture et la démocratisation du pays, une vitrine s’est installée pour assurer la visibilité de l’Ouzbékistan et ses investissements étrangers, qui est loin de refléter la réalité de la société et de l’Internet du pays.
La reformulation de la nation ouzbèke, via le renforcement de son identité et de son régime politique, demeure un enjeu considérable pour le nouveau pouvoir en place, et ne cesse de perpétuer des pratiques dissuasives et répressives dans le cyberespace ouzbek. Cependant, même si la nature du régime représente toujours un frein à la stabilité de l’Internet dans le pays, le numérique n’est pas forcément un outil pour ancrer le contrôle étatique, déjà très présent dans la société, avant même l’essor des technologies numériques et des télécommunications en Ouzbékistan.
Les états centre-asiatiques, dont fait partie l’Ouzbékistan, sont encore en construction dans un cadre issu des politiques soviétiques. Le rattrapage de l’Ouzbékistan et sa place grandissante sur la scène régionale laissent espérer un changement dans la gouvernance du cyberespace régional et national, même si le développement numérique du pays reste freiné par la volonté étatique d’exercer un contrôle total sur tous ses espace.
Cartographie
Cartes réalisées par Blanche qui est devenue cartographe et dirige maintenant sa propre entreprise de cartographie : AB Pictoris
Définitions complémentaires
- Mahalla
La mahalla (quartier) est une organisation sociale.
Le terme mahalla signifie en arabe le lieu où l’on s’arrête, vraisemblablement en référence aux arrêts des caravanes nomades. La mahalla était aussi couramment usitée dans le langage administratif des Ottomans pour désigner un quartier urbain. On retrouve également ce terme dans l’espace turcophone d’Asie centrale présoviétique et dans sa périphérie qui désignait une entité sociale dans le tissu urbain, exprimant également des liens de solidarités entre voisins partageant un sentiment d’appartenance (parfois religieux, ethnique ou corporatiste).
Avant d’être une institution sociale utilisée par le pouvoir central, la mahalla constitue un espace d’expression des solidarités sociales basées sur le voisinage. Cet espace est d’ailleurs souvent appréhendé comme le territoire du lignage, de la parenté. Il peut être perçu aussi comme celui d’un groupe ethnique ou national.
Boris-Mathieu Pétric, Le quartier ou mahalla : lieu du nouvel imaginaire national, Pouvoir, don et réseaux en Ouzbékistan post-soviétique (2002)
- Aqsaqal
Un aksakal (ou parfois transcrit aqsaqal, en langues turques, littéralement « barbe blanche ») réfère métaphoriquement à l’homme le plus âgé et le plus sage de la communauté dans certaines parties de l’Asie centrale et du Caucase. Traditionnellement, l’aksakal était le dirigeant d’un village ou d’un aoul jusqu’à l’époque soviétique. À la fois conseillers et juges, ces anciens ont ou avaient un rôle dans la politique et le système judiciaire dans certains pays ou tribus. Par exemple, il y a des cours d’aksakals au Kirghizistan. En Ouzbékistan, où la société a été traditionnellement plus sédentaire que la plupart des tribus turques nomades, les villes étaient divisées en mahallas. Chaque mahalla fonctionne sous la direction d’un aksakal. Les aksakals avaient un rôle prépondérant au cours de djiens. Le Qurultay pouvaient être un conseil des akasalals.
Bibliographie
Livres
- Benedict Anderson, L’imaginaire national. Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, La Découverte, 1996.
- Garik Galstyan, Les intérêts géopolitiques russes dans la région Caspienne: rivalités anciennes, enjeux nouveaux, Harmattan, 2007
- Marlène Laruelle et al., New Voices from Uzbekistan, Central Asian Program, Institute of
European, Russian, and Eurasian Studies, 2019 - Marlène Laruelle et Sébastien Peyrouse , Asie Centrale, la dérive autoritaire, Autrement/CERI, 2006
- Marlène Laruelle et al., Constructing the Uzbek State, George Washington University Press, 2018
- Kévin Limonier, Ru.net. Géopolitique du cyberespace russophone, L’Inventaire/Les
Carnets de l’Observatoire, 2018.
Articles
- Nasiba Azizova, « On The Issue of Bilingualism in Terms of Independence of Uzbekistan », Open
Journal of Applied Sciences, n°9, 2019, pp.870-875 - Mathieu Boulègue M., « L’Union Européenne en Asie Centrale entre valeurs, intérêts et sécurité », Outre-terre, 2016/3, n°48, pp196-207
- Antony C. Bowyer, « Political Reforms in Mirziyoyev’s Uzbekistan: Elections, Political Party and Civil
Society », Silk Study Road Paper, 2018 - Erlan Karin, « Central Asia: Facing Radical Islam », Russie.Nei.Visions, No 98, IFRI, 2017.
- Sara Kendzior, « A Reporter Without Borders: Internet Politics and State Violence in Uzbekistan »,
Peoblems of Post Communism, vol 57, n°1, 2010, pp.40-50 - Hayder Mili, « L’Asie centrale, plaque tournante du trafic du drogue », Le Courrier des Pays de l’Est,
2006/5, n°1057, pp.30-45, 2006 - Daniel Pasquier, « L’Etat Islamique dans le Grand Jeu en Asie Centrale », in Revue Défense
Nationale, n°785, 2015/10, pp.107-112, 2015. - Boris-Mathieu Pétric, « Le quartier ou mahalla: lieu du nouvel imaginaire national », Pouvoir, don et
réseaux en Ouzbékistan post-soviétique, 2002, pp. 107-118
One thought on “Épisode 12 : Blanche, Voyage en Asie Centrale”